Éthique et responsabilité scientifiques en temps de crise sanitaire

Le MURS a publié une tribune dans Ouest France le 13 avril 2020. Nous en reproduisons le texte ci-dessous.

Dans les dramatiques circonstances de la présente pandémie du COVID-19, il nous parait nécessaire de rappeler quelques considérations sur l’engagement des scientifiques fondées sur des valeurs universelles telles que la solidarité, l’humanisme et la défense des droits humains. Nous sommes membres du Mouvement Universel de la Responsabilité Scientifique/ Sciences et devenir de l’Homme (MURS), une association fondée en 1974 par le recteur Mallet, présidée ensuite par Jean Dausset et Gérard Mégie et aujourd’hui par Jean Jouzel.

Dans la période très dure que nous vivons, la recherche est mobilisée en tenant compte d’une infinité d’éléments relevant de la médecine, de la santé publique, de la chimie, des mathématiques, de l’intelligence artificielle, de l’ingénierie, etc.

Les sciences humaines et sociales sont en première ligne pour analyser l’impact de la crise sur les libertés publiques et les comportements des citoyens, et plus généralement envisager les transformations économiques et sociétales pour le futur.

Les décideurs ont besoin de l’expertise collégiale

Or, le concept de progrès résultant des applications de la science ne fait plus recette aujourd’hui. En outre la multiplication des forums sur les réseaux sociaux facilite la diffusion de «vérités » autoproclamées, voire de thèses complotistes.

Nous ne voulons certainement pas minimiser ici l’importance des mobilisations citoyennes justifiées par des sujets d’alerte scientifique, mais il est urgent de (re)nouer une relation de confiance entre les scientifiques et les publics.

Les chercheurs, même dans l’urgence d’une pandémie, ne peuvent éluder les questions d’éthique qui sous-tendent leur métier, en premier lieu l’intégrité scientifique, qui en garantit le caractère honnête et responsable. Il y a des standards internationaux à respecter : fiabilité et transparence des méthodes utilisées, validation par les pairs des résultats publiés. L’évitement des conflits d’intérêt pour les chercheurs et pour les éditeurs est aussi un impératif relevant de la déontologie, en recherche comme dans les autres professions.

Le partage des données de la recherche est un sujet sensible et tout particulièrement celles relatives au COVID-19 : le MURS soutient activement les initiatives en ce sens prises au niveau international. Il constate avec satisfaction que la plupart des revues scientifiques permettent un accès libre aux publications.

Notons que le transfert des connaissances aux publics à travers les médias comme la presse, la radio et la télévision rencontre des difficultés liées à la complexité inhérente à certains domaines de recherche, au manque de culture scientifique d’une partie du grand public, et malheureusement, aussi, d’une partie de la classe politique. Les décideurs ont besoin de l’expertise collégiale et rigoureuse que leur apporte le savoir des scientifiques. Les résultats des travaux d’un groupe d’experts reflètent toujours un état des connaissances susceptibles d’évoluer, voire d’être réfutées.

L’expert scientifique partage avec le décideur politique une prise de risque qu’on ne saurait lui reprocher : il s’engage sur une interprétation de faits dont il encourage l’exploitation dans le contexte qui le requiert. Lui et le politique ont affaire avec un paysage complexe aux multiples paramètres, difficile à faire percevoir au public, qui aspirerait à être rassuré par des certitudes où une cause aboutit toujours à un effet et à un seul.

Les scientifiques ont en permanence un devoir d’alerte

Le fait que l’expert soit contraint à interpréter des faits, avec les grilles de lecture offertes par sa pratique scientifique, ne saurait être sujet à scepticisme. L’interprétation ne dit pas l’incertitude mais l’inaccessibilité de la vérité totale.

Le politique peut parfois juger que « la connaissance tue l’action », selon une expression de Nietzsche, ou au contraire s’en remettre à la science comme à la source de toutes les vérités.

Dans les deux cas, il passe à côté de ce qui fait l’engagement heuristique de l’expert dont la responsabilité tient à la qualité de cette évaluation, celle du politique tenant aux priorités qu’il en déduit pour l’action.

Dans tous les cas l’expert doit pouvoir répondre de son savoir et ne peut se désintéresser de ce que les décideurs en font en l’appliquant dans l’urgence comme un dogme.

Rappelons aussi que les scientifiques ont en permanence un devoir d’alerte, même sans être sollicités comme experts par les décideurs. Ils se trouvent en position d’observateurs compétents et peuvent apporter des éléments de compréhension de première importance.

C’est ainsi que dans la crise actuelle du COVID-19, un certain nombre d’épidémiologistes européens ont tenté dès le mois de janvier d’alerter l’opinion et les politiques sur la possibilité d’une pandémie, mais ils n’ont tragiquement pas été entendus. On peut rapprocher cette cécité de celle qui entoure mondialement les travaux du GIEC sur le climat, qui pourtant alertent sur d’autres catastrophes à venir à plus long terme.

Les liens entre les communautés scientifiques de tous les pays, avancés ou non, démocratiques ou non, font la richesse des expertises. Lorsqu’une crise comme celle que nous traversons se révèle mondiale, les contacts internationaux des scientifiques entre eux prennent une importance particulière.

Nos collègues asiatiques par exemple ont beaucoup à nous apprendre sur la présente pandémie, il est primordial de s’assurer que les experts sollicités mobilisent les ressources et compétences internationales indispensables à une analyse pertinente en situation d’urgence sanitaire.

Enfin le MURS tient à souligner la nécessité que notre communauté scientifique renforce ses liens au niveau européen et apporte son soutien aux collègues dans les pays en développement, notamment comme ceux de l’Afrique.

 Auteurs : le Directoire du MURS

Jean-Pierre Alix (conseiller honoraire au CNRS), Jean-Michel Besnier (philosophe), Anne Cambon Thomsen (biologiste et médecin), Pierre Corvol (biologiste et médecin), Patrice Debré (médecin immunologiste)Laurent Degos (médecin hématologue),Jean-Gabriel Ganascia (informaticien), Anne-Sophie Godfroy (philosophe des sciences),  Claude Huriet (sénateur honoraire), Jean Jouzel (climatologue, Président du MURS), Marc Lachièze-Rey (astrophysicien), Michèle Leduc (physicienne), François Ravetta (physicien), Pierre-Frédéric Ténière-Buchot (Secrétaire général du MURS).

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