L’envolée des publications scientifiques en temps de Covid-19 – Séparer le bon grain de l’ivraie

Pierre Corvol, Professeur émérite au Collège de France

Cet article est essentiellement issu d’un éditorial publié dans médecine/sciences, 2021 ;37 :315-6

Il n’y a pas d’exemple de progression aussi rapide des connaissances dans la sphère biologique et médicale que celle provoquée par la pandémie de Covid-19. Les premiers cas de pneumopathie compliquée d’un syndrome de détresse respiratoire aigüe en novembre 2019 à Wuhan ont été suivis rapidement de l’identification de l’agent pathogène, le virus SARS-Cov2. Le gène a été séquencé en quelques semaines et actuellement plusieurs centaines de milliers de séquences de génomes ont été répertoriées pour étudier la phylogénie du virus et rechercher l’apparition de mutations pouvant modifier la transmissibilité du virus et sa pathogénicité. La structure tridimensionnelle de la protéine « spike » du virus, responsable de son entrée dans les cellules pulmonaires humaines, a été publiée en un temps record. Au plan clinique, les études épidémiologiques et de modélisation ont très vite permis de suivre et de prédire la progression de la pandémie. Les informations sur le virus et son mode d’action, sur les formes graves de la maladie et l’emballement du système immunitaire ont dès le début 2020 ouvert la voie à la recherche de médicaments. Les premières tentatives d’essais thérapeutiques médicamenteux ont eu lieu dès le premier trimestre 2020. Enfin, plusieurs types de vaccins, dont des vaccins originaux à ARN, ont été mis au point et auront été administrés en moins d’un an, une première !

1- Un accroissement impressionnant du nombre de publications et de pré-publications.

Les chercheurs de tous les pays se sont très rapidement et massivement mobilisés pour publier leurs résultats. LitCovid[1] est un centre de documentation pour le suivi des informations scientifiques les plus récentes sur le nouveau Coronavirus de 2019. Il s’agit de la ressource la plus complète sur le sujet, offrant un accès central à 245 628 (et en augmentation) articles pertinents dans PubMed dont il est quasiment impossible de faire le tour, même dans un secteur bien déterminé. Les articles sont mis à jour quotidiennement et sont classés par thèmes de recherche (par exemple, la transmission) et par lieux géographiques. Les deux pays les plus contributeurs sont les Etats-Unis et la Chine.

Chaque semaine, depuis mai 2020, de façon stable, près de 2 500 articles sont publiés sur la Covid-19. Comme pour toute publication scientifique, les manuscrits sont évalués de façon critique par les pairs (peer-review) et par les éditeurs qui décident de l’acceptation du manuscrit. Les journaux prestigieux ont pu recevoir jusqu’à une centaine de manuscrits par jour pour en publier moins de 2 ou 3 %. Plusieurs d’entre eux ont demandé aux examinateurs une revue rapide des manuscrits pour permettre une publication express.

En plus des publications scientifiques, la crise a stimulé la mise en ligne de manuscrits sur les plateformes de « préprints », MedRxiv et BioRxiv (actuellement 23 200 préprints[2], leur nombre a doublé en un an, montrant l’intérêt soutenu des chercheurs pour ce type de publications). Jusqu’à la pandémie, ces archives étaient très peu utilisées par la communauté médicale. Elles permettent un accès rapide aux données, gratuit et accessible à tous. On peut s’en réjouir mais rappelons que les manuscrits déposés sur ces plateformes ne sont pas encore revus et évalués par des examinateurs ; ils peuvent être améliorés en ligne par les lecteurs. Il s’agit donc d’articles préliminaires qui ne peuvent être considérés à l’égal des publications. Ils ne doivent pas être utilisés comme guide thérapeutique et ne devraient pas être mentionnés dans les médias. Les préprints favorisent par ailleurs le dépôt d’études médiocres qui ne seront jamais publiées.

2- Une remarquable facilité d’accès aux publications scientifiques sur la Covid-19

Plus de 30 éditeurs ont déclaré offrir un accès gratuit à leurs articles transférés sur les sites PubMed et PubMedCentral. Cette initiative renforce le mouvement de la « Science ouverte » mis en place avant la crise pandémique et qui permet d’avoir accès librement aux publications, aux codes et aux données source. De même, les recherches cliniques et les essais thérapeutiques en cours sont accessibles à tous sur le site ClinicalTrials.gov[3] de la National Library of Medicine ou son équivalent européen (EUdraCT). A ce jour, 7 894 études (elles étaient 4 300 il y a un an) sont enregistrées dans 149 pays (dont 907 en France), 737 concernent les vaccins.

3- Une accélération des processus habituels de découverte de nouveaux traitements

Dès le début de la crise, une recherche intense de médicaments antiviraux et de différents types de vaccins, dont les vaccins à ARN messager, a été entreprise. L’urgence de la pandémie explique la multiplication des études et la nécessité de les publier rapidement. Toutefois, cette hâte ne doit pas se faire aux dépends de la rigueur scientifique qui ne peut être escamotée au prétexte de la gravité de la situation.

Les phases d’étude clinique des nouvelles molécules et des vaccins suivent des règles bien précises et longues. Des procédures accélérées pour l’évaluation initiale des demandes d’autorisation des essais en lien avec la Covid-19 ont été installées en France par la Direction Générale de la Santé, l’ensemble des Comité de protection des Personnes et l’Agence Nationale de Sécurité des médicaments. Le contexte d’urgence a pu motiver une tolérance vis-à-vis d’essais thérapeutiques sans expertise méthodologique suffisante mais a dispersé l’effort de recherche clinique auquel ont contribué l’absence d’autorité de l’Organisation Mondiale de la Santé et le manque de concertation entre les agences nationales du médicament, même au sein de l’Union européenne. De nombreux essais thérapeutiques ont été entrepris, certains redondants, non concluants, quand ils n’étaient pas contradictoires, publiés et diffusés prématurément dans les médias. Ils ont nourri la méfiance du public vis à vis de la science.

Les académies de Médecine, de Pharmacie et des Sciences ont rappelé dans un avis commun qu’un « essai thérapeutique répond à des règles méthodologiques et à l’observation d’impératifs déontologiques et éthiques. La transgression de ces principes ne favorise pas la découverte rapide d’un traitement. Tout au contraire, elle peut aboutir à une confusion qui réduit les chances de trouver des indications thérapeutiques irréfutables[4] ». Tel a été le cas des études sur la chloroquine et l’hydroxychloroquine dans la Covid-19 : une recherche thérapeutique conduite sous pression et qui ne souscrit pas aux principes des essais thérapeutiques n’a pas permis pendant longtemps de conclure à l’absence d’effet de ces médicaments.

4- Un risque de dérives : « Mauvaises pratiques de recherche » et manquements à l’intégrité scientifique 

Il faut bien distinguer les mauvaises pratiques de recherche de l’ensemble des articles frauduleux où les résultats sont délibérément faussés. L’empressement à publier en période de crise ne doit pas conduire à s’abstraire du respect de l’intégrité scientifique tel que le rappelle le Code de conduite européen pour l’intégrité en recherche[5]. Consubstantielle de toute activité de recherche, c’est sur l’intégrité scientifique des chercheurs que reposent le savoir et la connaissance. Le site « Retraction Watch » qui signale les articles rétractés par leurs auteurs dans les journaux scientifiques, le plus souvent pour manquement à l’intégrité scientifique, relève actuellement 221 articles Covid-19 rétractés[6]. Il est encore trop tôt pour faire le bilan des articles qui n’ont pas respecté les règles de l’intégrité scientifique.

Deux articles ont été rétractés spectaculairement car les données à la base des publications n’ont pu être fournies par leurs auteurs. L’un publié dans The Lancet le 22 mai 2020 portait sur l’analyse d’une banque de données de dossiers électroniques de 96 000 patients Covid-19 provenant de 671 hôpitaux de différents pays. L’article concluait à l’inefficacité thérapeutique de l’hydroxychloroquine et à un risque accru d’effets secondaires cardiaques graves, voire mortels, sous ce traitement. Cette publication a entrainé une réaction rapide de l’OMS qui a arrêté l’introduction de l’hydroxychloroquine dans son essai multicentrique Recovery. Il est vite apparu qu’aucune information ne pouvait être fournie sur la source des données à l’origine de l’article. Elles provenaient de l’entreprise Surgisphere dont l’un des dirigeants était aussi l’un des 4 auteurs de l’article. Absence de transparence, conflits d’intérêts, absence de consentement des patients, négligence des référés, précipitation de l’éditeur du Lancet, ont amené l’auteur principal à rétracter l’article du Lancet. l’OMS est revenue sur sa décision d’interdire l’hydroxychloroquine dans son essai thérapeutique, la France devait suivre ce volte-face. L’affaire a été qualifiée de « LancetGate »… Une autre étude publiée au début du même mois de mai 2020 dans le prestigieux New England Journal of Medicine (NEJM) a été aussi rétractée par leurs auteurs pour les mêmes raisons. Elle reposait sur des données fournies par Surgisphere et exploitées par le même auteur que dans le cas précédent ; elle concluait à l’absence d’effet des médicaments anti-hypertenseurs dans l’évolution du Covid-19. Elle n’avait pas provoqué le même émoi car elle ne portait pas sur la controversée hydoxychloroquine.

La rétractation des publications du Lancet et du NEJM a mis en lumière les importantes questions éthiques et déontologiques que soulève l’utilisation des banques de données des patients : le consentement des patients, l’accord des hôpitaux, la qualité des données, leur analyse par les évaluateurs et le rôle de l’éditeur en cas de publication.

5- Une confiance dans la science à sauvegarder

Les patients, les médecins et les scientifiques sont les premiers à pâtir des mauvaises pratiques de recherche et des entorses à l’intégrité scientifique. Les chercheurs et les sociétés savantes sont bien conscients de la nécessité de mener rigoureusement les essais cliniques et de lutter contre la fraude scientifique. Dans une Tribune publiée dans le quotidien Libération intitulée « Halte à la fraude scientifique » [7], ils rappellent « qu’un scientifique est libre de ses hypothèses, de sa méthode et de défendre celles qui vont à contre-courant. Mais pour convaincre, il doit apporter des résultats transparents, exhaustifs, reproductibles, afin que ses pairs puissent vérifier ce qu’il proclame : préalable indispensable pour en faire rapidement bénéficier la population ».

Sur le plan sociétal et politique, les méconduites scientifiques conduisent à des interprétations erronées et à des comportements à risque dans le domaine de la santé. Le prétendu effet nocif des vaccins contre la rougeole, les oreillons et la rubéole a contribué à la méfiance du public vis à vis de la vaccination en général [8]. La méfiance, voire la défiance du public vis à vis de la science, est une des conséquences désastreuses des méconduites scientifiques. Elle s’ajoute aux critiques formulées par ailleurs sur la gestion de l’épidémie par le gouvernement pour alimenter les théories du complot.

La brutalité de l’explosion de la pandémie et sa gravité ont amené les chercheurs à se mobiliser rapidement, à bouleverser leurs programmes de recherche et à communiquer dans la hâte avec tous les excès que cela peut comporter. Le public a pu être désemparé par une avalanche de publications scientifiques dont la qualité, l’intérêt et la rigueur étaient pour certaines questionnables. Pour autant, elles ne doivent pas éclipser les remarquables progrès scientifiques et thérapeutiques qui ont été accomplis au cours de la crise. Avec un recul de deux ans, on peut dire que la vraie science sort gagnante de la pandémie, en se rappelant, toutefois, qu’il faut du temps pour séparer le bon grain de l’ivraie.


[1] LitCovid: an open database of COVID-19 literature.

[2] https://connect.medrxiv.org/relate/content/181

[3] https://clinicaltrials.gov/ct2/covid_view

[4] https://www.academie-medecine.fr/wp-content/uploads/2020/05/20.5.28-Avis-de%c2%b4ontologie-et-Tt-Covid-v-20.5.29.pdf

[5] https://www.allea.org/wp-content/uploads/2018/01/FR_ALLEA_Code_de_conduite_europeen_pour_lintegrite_en_recherche.pdf

[6] https://retractionwatch.com/retracted-coronavirus-covid-19-papers/

[7] https://www.liberation.fr/debats/2020/09/02/halte-a-la-fraude-scientifique_1798277

[8] Un exemple caractéristique est celui du rejet de la vaccination ROR (rougeole – rubéole – oreillons) par le public suite à « l’affaire Wakenfield ». Une publication d’A. Wakenfield dans The Lancet en 1998 établissait un lien entre vaccination ROR et autisme. En 2011, plusieurs articles du British Medical Journal accusent le Dr. Wakenfield de fraude, il est radié à vie du Collège des médecins, mais il se trouve encore des partisans pour soutenir ses travaux