Jean-Gabriel Ganascia, Professeur d’informatique à Sorbonne Université, ex-Président du Comité d’Éthique du CNRS
La pandémie de CoViD-19 s’est accompagnée de la diffusion d’une profusion d’informations à caractère prétendument scientifique parmi lesquelles le meilleur — à savoir les articles relatifs aux avancées scientifiques majeures — a côtoyé le pire, fait de toutes sortes de théories fumeuses et fausses sur des remèdes miracles ou sur l’origine de la maladie. Les médias numériques ont joué un rôle central dans la diffusion massive et incontrôlée de toutes ces informations. Cet article tente de donner un aperçu des nouveaux régimes de communication scientifique liés à l’ouverture des revues scientifiques, à la profusion des pré-impressions, à l’appétence du grand public pour les informations scientifiques, à l’apparition des réseaux sociaux, au parasitage opéré par des soi-disant experts et enfin à l’intervention de personnalités charismatiques qui exercent un grand pouvoir sur les esprits.
Avant-propos
Au premier trimestre 2007, Vincent Hervouët, alors chef du service international de la chaîne de télévision LCI, évoquait dans un article le rôle des médias et de l’information « non contrôlée » dans les rapports entre science et société[1]. On retiendra cinq points importants. En professionnel, Vincent Hervouët soulignait d’abord les contraintes économiques qui conduisaient les chaînes d’information à préférer des plateaux, avec des invités reconnus, à des enquêtes sur le terrain. Second point, l’hyper-concurrence tendait paradoxalement à renforcer le conformisme des médias qui craignaient de ne pas aborder les sujets du jour et d’être devancés par leur concurrents. Troisième point, plutôt que de traiter les questions en profondeur, en faisant appel à des experts compétents, on recourait aux recettes classiques en jouant sur la peur, la passion de l’égalité, la compassion etc. Quatrième point, l’Internet constituait une chambre d’écho redoutable amplifiant des prises de positions minoritaires et hétérodoxes qui n’auraient pas, du fait de leur manque de justifications tangibles, été relayées auparavant. Enfin, cinquième point, il n’y avait pas de raison que les scientifiques échappassent à la suspicion générale qui frappait les politiques, la justice, les églises, les enseignants, les médias et toutes les autorités.
À l’époque, les réseaux sociaux balbutiaient (rappelons que Facebook a été créé en 2004 et Twitter en 2006) et leur influence sur la circulation de l’information restait marginale, tout au plus quelques centaines de milliers de personnes. Quinze ans plus tard, le monde a changé. La toile joue désormais un rôle considérable au point de concurrencer la télévision, en particulier chez les jeunes générations. Dans ce contexte nouveau, les cinq points mentionnés par Vincent Hervouët conservent toute leur pertinence, si ce n’est que les constats se sont exacerbés : les contraintes économiques pesant sur les médias de masse se sont accrues, ce qui conditionne plus encore le format des émissions. Le conformisme n’a jamais été aussi fort et l’on fait toujours appel aux passions populaires afin de ne pas risquer de perdre des parts d’audience. Quant aux points quatre et cinq — rôle prépondérant de la toile dans l’accès à l’information et suspicion à l’égard de toute autorité, dont celle des scientifiques — ils se sont hypertrophiés dans des proportions considérables. C’est dans ce contexte nouveau que nous allons analyser la communication scientifique lors de la pandémie de CoViD-19.
Rappelons, pour commencer, qu’au tout début de la crise sanitaire, le comité d’éthique du CNRS (COMETS) s’est réjoui : on n’avait jamais assisté à une telle progression du savoir, et surtout, à une publication et à une mise à jour aussi rapide des articles scientifiques, et il n’y avait jamais eu autant de chercheurs invités dans les médias grand public. Mais, très tôt, il a déchanté face au traitement des informations scientifiques où l’on mettait sur le même plan de simples opinions, des observations empiriques, des conclusions hâtives tirées de ces observations et des résultats de recherche prouvés avec rigueur. Ces constatations l’ont amené à s’interroger sur la communication scientifique en situation de crise, qu’il s’agisse de la communication entre scientifiques — qui a beaucoup évolué récemment du fait de l’accès ouvert, tant aux données qu’aux publications, et de la numérisation des revues —, de la communication entre les scientifiques et le grand public — qui a, elle aussi, subi des transformations majeures avec l’évolution des médias de masse comme les chaînes d’information continue ou les réseaux sociaux —, et enfin de la communication des scientifiques vers les décideurs politiques. Cette réflexion collective a fait l’objet d’un avis public[2] où le COMETS a déploré les écarts à l’intégrité scientifique, à la déontologie et à l’éthique qui ont accompagné les nombreuses publications scientifiques sur la CoViD-19, en particulier celles qui portaient sur les traitements de cette maladie par l’hydroxychloroquine. Dans le même temps, en ma qualité d’informaticien, j’ai approfondi ces questions en m’appuyant sur un modèle théorique issue de la théorie de l’information que j’ai transposé à la communication scientifique. C’est ce modèle que je présente ici.
1- Fondements de la communication scientifique
En préliminaire, commençons par rappeler les principes généraux de la communication. À cette fin reprenons le schéma classique venu de la théorie mathématique de la communication de Claude Shannon et Warren Weaver[3] tel qu’il a été réinterprété en 1960 par le linguiste Roman Jakobson[4] pour déterminer les différentes fonctions du langage[5]. Comme on le voit dans la figure qui suit, ce schéma distingue l’émetteur, le récepteur, le message, le canal, le code et le contexte.
Rapporté à notre propos, l’émetteur est en principe un « expert », à savoir un scientifique spécialiste de ce dont il parle ou, à défaut, un scientifique de renom, voire simplement un scientifique médiatique ou même un journaliste.
Quant au récepteur il peut s’agir d’un chercheur spécialiste du domaine ; dans cette éventualité, la communication est essentielle à la vie de la communauté scientifique. Mais le récepteur peut aussi être une personnalité politique, soit qu’elle ait été investie de hautes responsabilités et qu’elle souhaite prendre des décisions importantes en fonction de l’état des connaissances scientifiques, soit qu’elle cherche à évaluer et à critiquer les décisions prises. Il arrive aussi que le récepteur soit un journaliste et, par son intermédiaire, le grand public, voire même, aujourd’hui, compte tenu des nouvelles modalités de communication, directement le grand public.
En matière de communication scientifique, le message devrait porter sur des avancées de la recherche ou sur des explications à destination du public. Comme nous le verrons, il arrive malheureusement qu’il en aille tout autrement et que nombre d’entre ces messages vise à discréditer tel ou tel, ou au contraire à en faire une promotion indue.
Journaux scientifiques, presse à destination d’un public large, réseaux sociaux, émissions de radio ou de télévision, et, parmi celles-ci, chaînes d’information continue, les canaux de la communication scientifique varient grandement de nos jours, et comme nous le verrons, cela a une incidence considérable sur les modalités de la communication.
Le code, à savoir le système de symboles, c’est-à-dire le langage à l’aide duquel on représente l’information, varie aussi selon l’émetteur, le destinataire et le canal. Il fait appel à des notions plus ou moins techniques, à tonalité plus ou moins empathique et émotionnelle, en fonction du public à qui le message est destiné et du média employé. Celui-ci joue un rôle clef : le succès d’une communication de masse en dépend.
Enfin, le contexte de la communication apparaît essentiel, en particulier dans une situation de crise sanitaire où il y a une très forte demande d’information de la part tant du grand public que des scientifiques ou des politiques. Les médias essaient de se faire l’écho de ces besoins et de les satisfaire avec les finalités qui leur sont propres, et qui ne sont pas toujours identiques à celles des chercheurs.
Au reste, et c’est très certainement la principale originalité de la communication de masse à l’heure des réseaux sociaux, il existe avec des médias comme Twitter, une rétroaction des destinataires vers les émetteurs. De ce fait l’autorité des scientifiques dans la communication en direction du grand public se trouve mise au défi par des interpellations plus ou moins vigoureuses provenant de différentes composantes de ce même public.
2- Finalité et réussite de la communication scientifique
2.1- Finalités scientifiques et économiques
Ce schéma étant posé, il convient de préciser que les finalités de la communication diffèrent selon l’émetteur, puisqu’en principe c’est lui qui est à l’origine du message. Et, pour un scientifique, l’objectif devrait être de transmettre des connaissances validées, même si, comme cela arrive parfois, certains poursuivent occasionnellement d’autres buts, plus personnels. Ainsi, arrive-t-il que des chercheurs outrepassent les procédures de validation en vigueur dans leur communauté, pour satisfaire d’autres motivations, par exemple la satisfaction narcissique d’être reconnu individuellement ; certains commettent même parfois, dans cet objectif de reconnaissance, des infractions à l’intégrité scientifique. On pourrait parler là d’une forme de corruption, puisque le scientifique se détourne de sa vocation qui est la quête de vérité, au profit d’ambitions égoïstes.
Ajoutons que les visées de la communication peuvent aussi être fixées par les gestionnaires des canaux afin d’accroître leurs bénéfices propres en augmentant les flux d’information qui y transitent. Ils y parviennent soit en multipliant le nombre de récepteurs, comme c’est le cas pour les médias de masse qui emploient les recettes éprouvées que mentionnait Vincent Hervouët, soit parfois, et de façon radicalement opposée, comme c’est le cas avec les publications scientifiques en accès ouvert, en accroissant le nombre d’émetteurs-payeurs, au risque de dérives dont nous parlerons plus loin.
2.2- Conditions et défis d’une communication réussie
En regard de ces finalités, on évalue la réussite de la communication à la satisfaction de ses visées. En l’occurrence, dans le cas de la communication scientifique, celle-ci se heurte à maintes difficultés tenant soit au dévoiement des émetteurs, experts ou scientifiques en mal de reconnaissance personnelle, soit aux intérêts particuliers des canaux. Dans l’un et l’autre cas, la finalité de la communication s’éloigne de ce qui devrait être sa visée première, à savoir la transmission de la vérité.
À cela s’ajoute une difficulté supplémentaire qui tient aux idéaux de transparence et d’ouverture qui traversent les sociétés démocratiques actuelles et qui soumettent la communication scientifique à des exigences nouvelles : tout résultat doit être diffusé intégralement, même s’il n’a pas encore été totalement évalué (idéal de transparence) et cette diffusion doit être gratuite (idéal d’ouverture). Il s’ensuit qu’avant même d’avoir été pleinement validés, des travaux font l’objet d’une communication entre scientifiques qui peut être « interceptée » par des journalistes, voire même directement par le grand public, qui ne les comprennent pas totalement, ce qui donne naissance à toutes sortes de malentendus. Dans un ordre d’idées analogue, l’exigence de transparence de la communication des scientifiques en direction des décideurs politiques a conduit le conseil scientifique CoViD-19 à publier sur son site l’ensemble de ses avis, au risque d’effets contre-productifs, comme nous le verrons.
Finalités et défis tenant au contexte de crise sanitaire
À ces transformations de la communication tenant aux conséquences d’une utilisation extensive des canaux numériques s’ajoute, dans le contexte de la crise sanitaire, des enjeux spécifiques liés au climat d’urgence, d’incertitude et d’anxiété généralisée. Partager l’information aussi vite que possible au sein de la communauté scientifique, conseiller les décideurs, répondre aux interrogations légitimes du grand public, autant d’impératifs qui se font jour dans ce contexte précis de la crise sanitaire, et qui imposent de nouvelles finalités à la communication et lancent, à tous ses acteurs, des défis inédits.
Dans la suite de cet article, nous allons examiner les dérives de la communication scientifique dans le double contexte de l’ère du numérique et de la crise sanitaire, en prenant pour fil directeur de notre analyse le modèle de communication que nous venons d’exposer. Puisqu’il s’agit de communication scientifique, l’émetteur est soit un scientifique, soit quelqu’un qui, à tort ou à raison, se prétend être son porte-parole. Quant au message, il devrait toujours porter sur des connaissances validées avec des procédures reconnues par la communauté scientifique, même, si, malheureusement, on fait parfois passer pour telles des discours d’un autre ordre. En revanche, le canal, le code et les récepteurs varient. Pour aborder toutes les questions qui se posent aujourd’hui, nous structurerons la suite de cet article à partir des différents récepteurs possibles, les scientifiques d’abord, le grand public ensuite et les décideurs politiques enfin.
3- Dérives de la communication scientifique en temps de crise et à l’ère du numérique
3.1- Dérives de la communication à destination de la communauté scientifique
Finalité et réussite de la communication à destination des scientifique
Lorsque les scientifiques communiquent à leur communauté scientifique, ils cherchent à faire reconnaître leur contribution propre comme constituant un apport substantiel, tout en faisant avancer l’état des connaissances.
Pour que la communication scientifique entre scientifiques atteigne ses objectifs il faut que deux conditions soient réunies :
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- le récepteur, censé être un scientifique compétent, doit comprendre le message,
- le contenu du message doit contribuer substantiellement à l’amélioration des connaissances communes.
Pour mesurer la contribution d’un résultat à l’amélioration des connaissances, les scientifiques ont mis en place un certain nombre de procédures, en particulier l’évaluation par les pairs et la vérification du respect des bonnes pratiques et de l’intégrité scientifique. Elles seules permettent d’en valider l’apport.
Effets contrastés des innovations dans les modes de communication
Dérives liées à la dématérialisation
En se dématérialisant, les canaux de la communication scientifiques permettent une diminution drastique des coûts de duplication (plus d’impression ni de papier), de mise à jour et de distribution. Cela a conduit à l’ouverture des publications, c’est-à-dire à la gratuité de l’accès, puisque la multiplication du nombre des lecteurs se fait sans coût additionnel. Cette ouverture est très positive dans son principe, car le savoir devient accessible librement à tous, sans frais d’aucune sorte. De plus les supports numériques accélèrent considérablement la diffusion de l’information, ce qui a été tout particulièrement le cas durant la pandémie. Autrement dit, la connaissance se démocratise, puisqu’il n’y a plus de barrière financière, qu’elle se dissémine quasi-instantanément et qu’en conséquence, tous y accèdent à loisir.
L’expérience a toutefois montré que la dématérialisation présentait deux effets délétères majeurs :
-
- D’un côté, il y a une multiplication inouïe et injustifiée du nombre des publications, qui tient à la nature des nouveaux canaux de transmission et aux intérêts financiers des éditeurs ;
- d’un autre côté, les publications scientifiques sont interceptées par des récepteurs (journalistes, grand public) auxquels elles n’ont pas été initialement destinées et qui ne maîtrisent pas le code de ces communications, ce qui conduit à toutes sortes de malentendus.
Puisque le payeur n’est plus le lecteur, qui soit s’abonnait individuellement aux revues, soit fréquentait les bibliothèques qui souscrivaient des abonnements, c’est-à-dire le récepteur, mais le producteur, à savoir l’émetteur, et qu’il n’y a pas de frais de reproduction, on peut accroître indéfiniment le nombre publications payées par les émetteurs sans qu’aucune des deux conditions de réussite de la communication scientifique à destination des scientifiques, à savoir compréhension du message et contribution à l’avancement des connaissances, ne soit vérifiée. En effet, comme il n’apparaît plus nécessaire d’avoir de récepteur pour assurer la viabilité économique d’un journal, la compréhension par ce récepteur supposé ne pose plus de problème. De plus, la vérification du caractère substantiel de la contribution scientifique véhiculée par les messages devient, parfois, factice, car elle n’est plus indispensable pour assurer la viabilité économique d’une revue. Le cas extrême est celui des publications dites prédatrices parce qu’elles simulent les procédures de validation en vigueur dans les revues scientifiques en vue de faire illusion, pour laisser croire qu’il existe une évaluation sérieuse, là où il ne s’agit en fait que de faire payer des frais de publication aux chercheurs. À cet égard, on ne peut manquer d’évoquer un canular symptomatique des défauts des procédures d’évaluation : la parution, lors de la pandémie, dans une revue internationale, d’un article sur l’effet de l’hydroxychloroquine sur les accidents de trottinettes signé, entre autres, par Némo Macron, le chien du président de la République[6] domicilié au Palais de l’Élysée… On observe couramment des dégradations moins flagrantes, avec par exemple les évaluations de complaisance dont la publication des premiers articles de Raoult atteste, au moins l’un d’entre eux[7] qui a paru dans la revue, International Journal of Antimicrobial Agents, dont le rédacteur en chef, Jean-Marc Rolain, en était l’un des signataires. Comme des études[8] l’ont mis en évidence, le contexte de la crise sanitaire a contribué à l’amplification de telles pratiques ou, tout du moins, à leur révélation.
Dérives liées aux prépublications
Un deuxième effet vient de la possibilité donnée à chacun d’être son propre éditeur ou, simplement, de publier sur des sites d’archives comme HAL ou de prépublication comme MedRxiv et BioRxiv, sans évaluation scientifique préalable. Cela permet de faire connaître plus vite des articles destinées, en principe, à être publiées dans des journaux scientifiques, sans attendre les délais d’évaluation qui peuvent être très long. D’un côté, cela accélère diffusion, ce qui dans une période de crise peut être salutaire ; on doit s’en réjouir. D’un autre côté, cela donne un statut de quasi-publications scientifiques à des travaux qui n’ont pas encore été validés, ce qui peut faire illusion, en particulier auprès du grand public. C’est ce qui s’est produit lors de la crise sanitaire où un nombre très considérable de prépublications fantaisistes, vantant par exemple les mérites de l’hydroxychloroquine, a fleuri.
Dérives liées aux réseaux sociaux
Une dernière question porte sur les nouveaux outils de communication, comme les réseaux sociaux, et sur leur utilisation dans la communication des chercheurs scientifiques. Ceux-ci sont utilisés pour l’évaluation des travaux scientifiques après publication. C’est le cas du site PubPeer très populaire dans différents secteurs scientifiques où il permet d’organiser des « salons de lecture » en ligne. De telles initiatives apparaissent louables lorsqu’elles se destinent à l’animation de communautés scientifiques restreintes, pour alimenter les débats entre chercheurs et, parfois mettre en évidence des irrégularités, voire des entorses à l’intégrité scientifique que l’évaluation par les pairs n’avait pas été en mesure de révéler, comme celle dont s’était rendu coupable un chercheur en biologie végétale très prestigieux, Olivier Voinnet[9].
Des effets dommageables surgissent lorsqu’il y a interception par un public non scientifique à des fins polémiques. Dans cette éventualité, l’opinion commune condamne des chercheurs avant que les dossiers aient été instruits, ce qui peut conduire à des injustices. Ces conséquences sont d’autant plus problématiques que les dénonciations sur PubPeer peuvent être anonymes.
Mais, le site PubPeer a aussi eu des effets bénéfiques au cours de la crise sanitaire, lorsqu’il a relayé les allégations d’infraction à l’intégrité scientifique portées par une microbiologiste, Elisabeth Bik, à l’encontre de Didier Raoult pour plusieurs anomalies (en particulier des images dupliquées) et des problèmes liés à la méthodologie employée dans plusieurs publications qu’il a cosignées avec plusieurs de ses collègues[10]. En retour, Didier Raoult et son confrère, Éric Chabrière, ont entamé une procédure judiciaire contre Elisabeth Bik, accusée de harcèlement, et contre l’administrateur de PubPeer, Boris Barbour, accusé de complicité pour avoir relayé les interrogations d’Elisabeth Bik. Dans ce contexte, nous avons vu des débats entre scientifiques, sur des sujets scientifiques, portés auprès des tribunaux, devant des magistrats qui n’ont plus rien à voir avec les pairs. Consécutive à un dysfonctionnement des canaux de communication entre chercheurs, une telle judiciarisation est fortement dommageable pour l’ensemble de la communauté scientifique.
3.2- Dérives de la communication scientifique à destination du public
Finalité et réussite de la communication à destination du grand public en temps de crise
En temps ordinaire, une communication scientifique réussie à destination du grand public devrait lui permettre d’accéder à une compréhension globale des enjeux des avancées de la science ; elle devrait aussi lui inspirer confiance dans la démarche scientifique. À la différence de la communication entre chercheurs, cette dernière ne vise pas à procurer une connaissance de détail de chaque résultat particulier et des procédures employées pour y parvenir, mais elle doit offrir une vision d’ensemble de l’état des connaissances.
Lors de la crise sanitaire il y eut une forte demande d’informations scientifiques de la part de la population liée à l’anxiété, au besoin de comprendre, mais aussi au désir de trouver des solutions immédiates qui éviteraient les désagréments comme le port du masque ou la vaccination.
Or, de nombreux obstacles à une bonne communication surgissent et, paradoxalement, l’amélioration des techniques de communication rend cette médiation plus hasardeuse qu’auparavant. Analysons ces obstacles en partant des différentes composantes du modèle de communication que nous avons décrit.
Obstacles dans la communication tournée vers le grand public
Obstacles liés au code
Il est évident que le code au sens donné plus haut dans le schéma général de communication, à savoir le langage employé à destination du grand public, diffère grandement du code employé entre les chercheurs d’une communauté scientifique étroite. Les obstacles liés au code apparaissent d’autant plus prononcés en période de crise, qu’il y a une demande très vive du public. Trois stratégies de communication se dégagent alors :
1) Renoncer, au nom d’une perspective administrative (ou bureaucratique) de la science qui restreint la cible de la communication à une caste de sachants, spécialisés dans leur domaine, et qui frustre le public de toute compréhension. Dans cette éventualité, on prend acte de l’impossibilité d’une communication scientifique à destination du grand public.
2) Envoyer des messages simples, en incarnant la science par des figures charismatiques de « passeurs » qui, parfois (mais pas toujours), détournent cette fonction au profit d’une vision très personnelle. Ce que l’on appelle le « populisme scientifique »[11] vient du pouvoir que prennent certaines de ces figures.
3) Transmettre une information complexe, au nom de la volonté de faire comprendre sans céder à la facilité et sans tromper. Mais, cette volonté sincère se heurte, comme l’expliquait déjà Vincent Hervouët, aux contraintes d’ordre économique et commercial que font peser les canaux de communication sur la communication elle-même.
Obstacles liés aux canaux de communication
Le rythme de diffusion de l’information diffère grandement selon les canaux (journaux grand public, émissions de radio, chaînes d’information, etc.). Certains laissent le temps de l’explication et offrent donc une chance à la « troisième voie » évoquée ci-dessus — celle de l’explication patiente et de la volonté de faire comprendre — de se déployer ; il faut bien évidemment les encourager. D’autres ne le permettent pas ; c’est le cas des chaînes d’information en continu ; c’est aussi le cas des réseaux sociaux qui ont été massivement utilisés lors de la crise sanitaire pour communiquer des informations scientifiques.
À cela s’ajoutent les finalités des médias de masse qui privilégient le flux et la quantité de « récepteurs », en l’occurrence dans le cas de l’audio-visuel, l’audience, à la réussite d’une authentique communication scientifique. Dans ce contexte, le canal préempte, à ses fins propres, la communication scientifique en direction du grand public. Ces phénomènes se sont d’autant plus amplifiés lors de la crise sanitaire que les enjeux financiers étaient importants.
Obstacles liés aux émetteurs
Le troisième obstacle vient des émetteurs. On peut les regrouper en trois catégories qui, chacune, a son intérêt, mais donne aussi lieu à des dérives.
À l’évidence, la communication directe des scientifiques vers le grand public devrait inspirer confiance et incarner un savoir qui, sinon, devient assez abstrait et froid. Toutefois, les scientifiques ne disposent pas toujours ni du temps, ni du talent, nécessaires à cet exercice.
De plus, lorsqu’ils s’expriment, certains scientifiques poursuivent parfois des finalités personnelles propres fort éloignées des idéaux de la communication scientifique à destination du grand public que nous avons énoncés au début de cette section. Citons à titre d’exemple Didier Raoult, Luc Montagnier[12] ou Jean-François Toussaint[13] — mais il en est bien d’autres — qui, forts de travaux passés de qualité incontestable, apparurent très souvent dans les médias lors de la crise sanitaire pour défendre des idées combattues par la communauté des experts du domaine.
D’autre part, il arrive que des émetteurs censés être des médiateurs se substituent aux scientifiques dans la communication avec le grand public. Ceux-ci peuvent être des journalistes scientifiques, dont c’est le métier ou des soi-disant « experts ». Dans le premier cas, nous avons affaire à des journalistes compétents qui font un travail de qualité en jouant un rôle d’intermédiaires entre les chercheurs et le public. Malheureusement, le temps de préparation requis en amont d’une médiation de qualité, d’une part, et le temps d’antenne nécessaire pour transmettre des explications avec rigueur et clarté, d’autre part, font trop souvent défaut. Dans le second cas, l’intervention d’experts auto-proclamés sur de multiples sujets, comme ce fut le cas sur la Covid, crée de forts biais d’information, en particulier sur les chaînes d’information en continu, où les idées de personnalités non spécialistes du domaine concerné sont présentées et commentées au même titre que celles d’experts authentiques. Il arrive aussi que des acteurs, mus par un projet politique, déforment, à dessein, certaines conclusions scientifiques. La crise sanitaire l’a mis en évidence, en particulier aux États-Unis, avec les affirmations du président Donald Trump ou au Brésil, avec celles du président Jair Bolsonaro. Des phénomènes de cet ordre se produisirent aussi sur la question du réchauffement climatique. Et, on trouverait bien d’autres exemples.
Enfin, la troisième catégorie d’émetteurs recourt aux réseaux sociaux : tout le monde, désormais, peut émettre sur quelques dizaines de caractères typographiques. Cela permet de relayer un certain nombre d’informations scientifiques, en y ajoutant des sentiments et des informations personnelles. On pourrait s’en féliciter si cela conduisait l’ensemble de la population à prendre en charge des problématiques sanitaires, comme ce fut le cas avec les associations de malades du SIDA. Malheureusement, il arrive que le grand public relaye des informations fausses. Pire, on a vu des agressions verbales passer par le truchement des réseaux sociaux. Les propos d’Axel Kahn sur le sujet, en particulier le post intitulé « Les voyous investissent la science »[14] qu’il a publié sur Facebook sont éloquents. Rappelons aussi, toujours sur ce registre, les mésaventures d’un médecin, chercheur, cheffe du service hospitalier des maladies infectieuses à l’hôpital Saint-Antoine, Karine Lacombe, qui s’est trouvée violement prise à parti sur les réseaux sociaux[15] et attaquée en justice par Didier Raoult[16] suite à ses interventions dans les médias à propos de la CoViD-19.
Obstacles liés aux récepteurs
Le dernier point porte sur le récepteur. Le grand public partage des représentations et des croyances qui influent sur la réception des messages et qui peuvent considérablement biaiser l’effet de la communication scientifique. À titre d’illustration, de nombreuses craintes sans fondement se sont fait jour dans la population française au sujet de la violation de l’intimité du foyer consécutive à la pose de compteurs électriques Linky ou de l’effet nocif des ondes électromagnétiques émises par ces mêmes compteurs. Plus récemment, lors de la crise sanitaire, des peurs irrationnelles ont resurgi lors de la mise en place des applications de traçage comme StopCovid[17], puis avec la vaccination accusée d’être la cause de nombreuses maladies.
3.3- Dérives de la communication scientifique à destination des politiques.
Lors de cette crise, le pouvoir politique a mis en place des comités d’experts pour le conseiller sur les mesures et les stratégies sanitaires à adopter. Dans le modèle de communication que nous utilisons, l’émetteur est ici le groupe de scientifiques réunis au sein du comité (dans le cas de la crise Covid-19 : le Conseil scientifique Covid-19), le message est la connaissance scientifique accompagnée de la formulation d’avis ou de recommandations (sans valeur prescriptive), le canal est l’ensemble des avis rédigés par le comité et des réunions organisées avec le pouvoir politique, le code est un langage adapté à des non-scientifiques de niveau universitaire, le récepteur, enfin, les pouvoirs publics (dans le cas de la crise Covid-19 : le gouvernement). De tels comités existent depuis longtemps, mais au cours de cette crise, leur fonction a pris une place singulière et ce pour deux raisons. La première tient à leur temporalité exceptionnelle. En effet, l’urgence de la situation sanitaire réclamait des réponses rapides, là où, usuellement, le rôle des conseillers scientifiques était d’aider le pouvoir politique à décider de choix programmatiques sur le moyen ou le long terme en matière de recherche.
La seconde particularité tient à leur caractère public et à la « transparence » dont on a voulu faire preuve en diffusant très largement les noms des personnalités participant à ces comités et les avis qu’ils rédigeaient. Malgré son évidente vertu, cet objectif a engendré, en modifiant le schéma de communication, des difficultés pour les scientifiques et des effets pervers dans l’interprétation par le grand public des relations entre le gouvernement et ses conseillers.
Le défi d’adapter le code à la double-cible
Comme nous l’avons vu, tout message s’exprime dans un code, c’est-à-dire dans un langage, propre à être compris par un récepteur dans un contexte précis. Or, lorsque la communication en direction du pouvoir est dite « transparente », ceci signifie que le message s’adresse simultanément à des personnalités politiques ou des hauts fonctionnaires chargés de prendre des décisions dont ils devront assumer la responsabilité et à un très large public traversé de passions diverses, manifestant des inquiétudes variées et ayant des facultés d’appréhension fort différentes. Il s’ensuit que, tant le contexte — celui de la décision d’un côté, celui de la réponse aux demandes des citoyens de l’autre — que le code — celui que peuvent appréhender des responsables politiques ou des fonctionnaires de la haute administration d’un côté, celui accessible au grand public d’un autre — diffèrent. Nous nous retrouvons donc face à une équation extrêmement difficile à résoudre et qui n’a pas été vraiment résolue. L’opposition aux décisions du gouvernement et les critiques adressées, de part et d’autre, au conseil scientifique CoViD-19, montrent, à l’évidence, que les difficultés de communication n’ont pas été surmontées.
Le faux procès en « biopouvoir »
D’autre part, cette volonté, louable dans son principe, a placé le comité scientifique CoViD-19 dans une situation délicate [18]: lorsque l’exécutif suivait ses recommandations, on l’accusait de se substituer au pouvoir politique et d’exercer ce que l’on a parfois appelé, en réutilisant mal à propos un concept introduit par le philosophe Michel Foucault, un « biopouvoir » ; et, lorsque l’exécutif s’en éloignait, on affirmait qu’il avait été désavoué. Dans cette perspective, c’est l’articulation entre la communication des scientifiques vers les décideurs et celle du gouvernement vers le grand public, qui a fait défaut[19]. Ce constat d’échec partiel appelle à l’organisation d’une communication de crise mieux maîtrisée pour faire face à d’éventuelles futures crises.
Conclusion
Quel que soit le contexte, la communication scientifique repose sur deux éléments stables : l’émetteur, qui demeure le scientifique ou son porte-parole (légitime, dans le cas sain, déraisonnable en cas de dévoiement de la communication), et le message, qui porte sur des connaissances validées selon des procédures reconnues par la communauté scientifique (au risque de dérives). Les récepteurs, en revanche, s’inscrivent dans trois catégories qui, nous l’avons vu, présentent chacune leurs finalités et difficultés propres. A l’ère du numérique, les codes et les canaux se sont diversifiés, multipliés, tout en décuplant la population des récepteurs (en particulier dans le grand public). Ces mutations, malgré leurs effets positifs, parasitent à de multiples égards la communication scientifique.
Le parasitage advient dans la communication entre scientifiques, avec la profusion de publications mal évaluées, ce qui conduit à accroître l’entropie d’information ; il advient aussi dans la communication avec le grand public où les impératifs économiques font que les médias de masse ne jouent plus leur rôle de filtre et où les médias sociaux profitent d’une absence de législation et de censure pour diffuser n’importe quelle information, sans aucun contrôle. Enfin, comme nous l’avons vu, lorsqu’elle est mal maîtrisée, la transparence que s’imposent scientifiques et politiques dans leurs communications mutuelles lors de situations de crise se retourne contre eux en abolissant aux yeux du public la distinction nécessaire entre la fonction du scientifique, qui est de douter et d’apporter des éléments de preuve, et celle du politique qui est de décider en prenant ses responsabilités.
Ces dérives ont encore été amplifiées durant la crise sanitaire, du fait de l’explosion des publications et prépublications liées au Covid, de l’urgence à décider en contexte d’incertitude et du climat d’anxiété généralisé.
Bref, quinze ans après les réflexions de Vincent Hervouët sur le rôle des médias et de l’information « non contrôlée » dans les rapports entre Science et Société, on constate que les réseaux sociaux non contrôlés disséminent le savoir scientifique auprès d’un large public en court-circuitant les médias traditionnels. Grâce à cette information « non contrôlée » tous disposent donc des moyens d’accéder à l’intégralité du savoir, ce qui devrait donner à l’ensemble de la société une meilleure compréhension de la démarche scientifique et des résultats qu’elle obtient. De plus, il existe beaucoup de médiateurs qui s’emploient à transmettre, de façon très pédagogique le savoir. Force est donc de constater que cette dissémination « non contrôlée » de l’information s’est accrue au point de prendre le dessus sur les autres médias. Or, en dépit de ce qui aurait dû — et aurait pu — apparaître comme un progrès notable, on doit se rendre à l’évidence : concomitamment à l’ouverture des connaissances scientifiques et à l’accès libre et gratuit de tous à tout ce savoir, tant la quantité de croyances fantaisistes que la défiance envers les scientifiques ont crû dans des proportions inouïes.
[1] Vincent Hervouët, « Le rôle des médias et de l’information « non contrôlée » (Internet) dans les rapports entre Science et Société » (2007), Science & Devenir de l’Homme – Les Cahiers du MURS, 52/53
[2] Avis n°2021-42 du COMETS, « Communication scientifique en période de crise sanitaire : profusion, richesse et dérives », https://comite-ethique.cnrs.fr/wp-content/uploads/2021/09/AVIS-2021-42.pdf
[3] Claude Shannon et Warren Weaver, The Mathematical Theory of Communication, University of Illinois Press, 1949
[4] Roman Jakobson, « Linguistics and Poetics » (Linguistique et poétique), in Style in Language, Thomas A. Sebeok, MIT Press, 1960
[5] Soulignons l’importance centrale du modèle de Shannon et Weaver qui a été vu comme la matrice de tous les modèles (« mother of all models ») ultérieurs de communication. Cf. Erik Hollnagel and David D. Woods (2005). Joint Cognitive Systems: Foundations of Cognitive Systems Engineering. Boca Raton, FL: Taylor & Francis. ISBN 978-0-8493-2821-3.
[6] Oodendijk, W., Rochoy, M., Ruggeri, V., Cova, F., Lembrouille, D., Trottinetta, S., Hantome, O. F., Macron, N., & Javanica, M. (2020). “SARS-CoV-2 was Unexpectedly Deadlier than Push-scooters: Could Hydroxychloroquine be the Unique Solution?”, Asian Journal of Medicine and Health, 18(9), 14-21. https://www.journalajmah.com/index.php/AJMAH/article/view/30232
[7] Gautret P , Lagier J-C , Parola P , et al . “Hydroxychloroquine and azithromycin as a treatment of COVID-19: results of an open-label non-randomized clinical trial.” Int J Antimicrob Agents 2020;56:105949.doi:10.1016/j.ijantimicag.2020.105949 pmid:http://www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/32205204
[8] Pour avoir une analyse détaillée de ce phénomène, lire Locher C, Moher D, Cristea IA, Naudet F. “Publication by association: how the COVID-19 pandemic has shown relationships between authors and editorial board members in the field of infectious diseases.” BMJ Evid Based Med. 2022 Jun;27(3):133-136. doi: 10.1136/bmjebm-2021-111670. Epub 2021 Mar 30. PMID: 33785512.
[9] Voir l’avis n°2016-32 du COMETS intitulé Discussion et contrôle des publications scientifiques à travers les réseaux sociaux et les médias: questionnements éthiques et publié en avril 2016. Cf. https://comite-ethique.cnrs.fr/wp-content/uploads/2019/10/AVIS-2016-32-FR.pdf
[10] Avis du COMETS du 7 juin 2021
[11] Gideon Lasco, Nicole Curato, “Medical populism”, Social Science & Medicine, 221, 2019, p. 1-8.
[12] https://www.lequotidiendumedecin.fr/actus-medicales/recherche-science/mort-du-pr-luc-montagnier-du-nobel-aux-errements-scientifiques
[13] https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2020/10/14/le-covid-19-n-est-pas-devenu-50-a-100-fois-moins-letal-qu-en-mars-comme-l-affirme-le-professeur-toussaint_6056010_4355770.html
[14] https://www.facebook.com/axel.kahn2/posts/2016677018463001
LES VOYOUS INVESTISSENT LA SCIENCE.
La controverse existe, en science, elle peut être vive, violente mais dans ses formes à elle. L’adversaire n’est pas physiquement menacé, harcelé, sa famille n’est pas directement impliquée. Dans le monde d’avant.
Dans le monde d’après, cette « exceptionnalité » a été balayée. Le monde d’après est bien pour l’essentiel celui d’avant en pire.
Que personne ne s’inquiète, je n’aborderai pas en tant que telle la désolante polémique sur l’efficacité du protocole proposé par Didier Raoult à l’IHU de la Méditerranée. L’affaire est entendue depuis longtemps.
Quoi qu’il en soit, j’y avais fait allusion d’une phrase rapide, un bon journal international de maladies infectieuses publie il y a une semaine une méta-analyse fondée sur un traitement statistique complexe et poussé d’articles déjà publiés et traitant collectivement de 30.000 personnes atteintes de Covid. Les auteurs sont de jeunes chercheurs, docteurs et doctorants, en santé publique (célébrissime London School of Public Health) et maladies infectieuses. Cet article conclut que l’HCQ seule est inefficace. Associée à l’azythromycine, elle serait dangereuse. Pas vraiment une surprise.
Dans le monde d’avant, les scientifiques de l’IHU de la Méditerranée et ceux qui soutiennent ses thèses auraient envoyé au journal une lettre critiquant cet article, en aurait démonté la méthode et les conclusions dans des publications, à des congrès scientifiques.
Dans le monde d’après, un tsunami barbare s’abat sur les jeunes auteurs de l’article. Des centaines de twittos à trois abonnés, anonymes, les injurient, les calomnient. « Des blanc-becs impubères manipulés ou vendus. » Une séquence de YouTube est mise en ligne par l’IHU. Des dizaines de coups de téléphone anonymes interrompent leurs nuits. Des messages et lettres de dénonciation et de calomnies sont adressés à leurs directeurs de laboratoire et de thèse. On leur fait d’office passer commande de centaines de travaux d’isolation, changements de chaudières, poses de vélux. On les menace physiquement de façon anonyme. Des voyous ignobles. Le monde d’après.
J’avais déjà perçu ce phénomène dans mon billet « un monde de déraison. https://axelkahn.fr/un-monde-de-deraison/» Pas seulement de déraison, de crapulerie ignoble. Mon Dieu ! Au centre, un très prestigieux institut hospitalo-universitaire. Et puis, par strates, un ramassis de fachos, de voyous, de complotistes, d’abrutis….Le monde d’après.
J’ai twitté à l’un des auteurs :
« Je ne suis pas anonyme, je suis un médecin, scientifique, spécialiste de l’éthique médicale et autre, je n’ai aucun lien d’intérêt avec Gilead ni quiconque, je suis président de La Ligue contre le cancer, profondément indigné par ce que vous subissez. Je vous soutiens. »
Axel Kahn
30/08/2020
[15] Covid-19 : trois médecins-cheffes alertent sur le cyberharcèlement, le Figaro, 24 décembre 2020, https://www.lefigaro.fr/flash-actu/covid-19-trois-medecins-cheffes-alertent-sur-le-cyberharcelement-20201224
[16] Covid 19 : le professeur Raoult attaque en justice un infectiologue du CHU de Grenoble pour diffamation, France 3 provence, 21 novembre 2020, https://france3-regions.francetvinfo.fr/provence-alpes-cote-d-azur/bouches-du-rhone/marseille/covid-19-professeur-raoult-attaque-justice-infectiologue-du-chu-grenoble-diffamation-1897218.html
[17] Pour une analyse détaillée de ces craintes voir Jean-Gabriel Ganascia, « Peur du traçage – traçage de la peur », Revue de Neuropsychologie 2021 ; 13 (2) : 148-52 doi:10.1684/nrp.2021.0676
[18] Avis n°2021-42 du COMETS op. cit.
[19] L’expertise scientifique au défi de la crise sanitaire, Louis Nouaille-Degorce, octobre 2020, École nationale d’administration. https://www.documentation-administrative.gouv.fr/adm-01859551