Patrice Debré, Professeur émérite d’immunologie à Sorbonne Université et membre de l’Académie nationale de médecine
Toute innovation nécessite d’être testée chez l’homme par des essais encadrés pour contrôler son innocuité et son efficacité. Le vaccin n’échappe pas à la règle. Cela nécessite cependant de respecter des normes éthiques afin de respecter le libre choix des individus de participer à une telle évaluation. Ces règles ne furent pas toujours respectées.
Le 22 septembre 1884, Louis Pasteur écrivait à l’empereur du Brésil Pedro II [1] :
« Je n’ai rien osé jusqu’ici sur l’homme malgré ma confiance dans le résultat et malgré les occasions nombreuses qui m’ont été offertes depuis ma dernière lecture à l’Académie des sciences. Je crains trop qu’un échec ne vienne compromettre l’avenir. Mais alors même que j’aurais multiplié les exemples de prophylaxie de la rage chez les chiens, il me semble que la main me tombera quand il faudra passer à l’espèce humaine. C’est ici que pourrait intervenir très utilement la haute et puissante initiative d’un chef d’État pour le plus grand bien de l’humanité. Si j’étais roi ou empereur ou même président de la République voici comment j’exercerais le droit de grâce sur les condamnés à mort. J’offrirais à l’avocat du condamné, la veille de l’exécution de ce dernier, de choisir entre une mort imminente et une expérience qui consisterait dans les inoculations préventives de la rage pour amener la constitution du sujet à être réfractaire à la rage. Moyennant ces épreuves, la vie du condamné serait sauvée. »
Depuis les premières recherches de Louis Pasteur sur les vaccins et celles sur leur efficacité chez l’homme, des règles éthiques sont venues encadrer les essais cliniques. Il est intéressant dans ce cadre de revenir sur le consentement éclairé des individus qui participent à une telle recherche et ainsi à tester les produits innovants, dont les vaccins.
Les premières réflexions à ce sujet remontent au procès des médecins de Nuremberg qui s’est tenu le 9 décembre 1946 [2]. Il s’agissait de juger des expérimentations dites médicales des bourreaux nazis qui, sous prétexte de tester la résistance humaine à divers types d’agression, s’étaient livrés à toutes sortes d’exactions jusqu’à la mise à mort. Les prévenus se justifiaient en disant que la science a ses propres droits et que l’imagination en recherche ne doit pas avoir de bornes. Le jugement, outre les peines individuelles, établit pour la première fois des règles encadrant les recherches sur l’Homme, et introduisit une notion essentielle, celle d’un consentement, dit éclairé, de celui qui participait à de telles recherches.
Un tel code, si utile soit-il, est cependant plus facile à coucher sur le papier qu’à appliquer. Pendant longtemps celui-ci est resté lettre morte. Sans doute les investigateurs d’alors pensaient-ils qu’il s’adressait plus à la barbarie nazie qu’à eux-mêmes.
La déclaration d’Helsinki, 20 ans plus tard, effectuée par l’Association médicale mondiale qui y tenait sa 18eme réunion, fut certes l’occasion de rappeler les grands principes qui devaient encadrer la recherche chez l’Homme.
Mais malgré quelques précisions et la mise en avant d’une exigence de sécurité, limitant également l’utilitarisme rigide de 1947 – la recherche doit avoir des résultats pratiques pour la société – ce bel exercice d’écriture ne changea guère le cours des choses : des expériences scandaleuses ont continué d’être menées pendant plusieurs dizaines d’années par les pays occidentaux. Les circonstances furent cependant différentes aux États-Unis et en France.
En Amérique du Nord, sans tenir aucun compte du procès de Nuremberg et du code qui en avait résulté, de nombreuses recherches cliniques sans consentement éclairé ni information des individus, allaient continuer de s’effectuer dans des pénitenciers ou des institutions spécialisées, telles celles pour enfants handicapés. Les sujets testés étaient les représentants de minorités, les Noirs, les pauvres, les prisonniers, les indigents, qu’on payait parfois de quelques dollars pour des études consistant à administrer du LSD, ou des drogues hallucinogènes 10 fois plus fortes, des substances carcinogènes telle la dioxine, principe actif de l’agent orange, ou des molécules radioactives. De tels essais étaient conduits avec le concours de l’armée et de la CIA, sans aucun respect de la personne. À Tuskegee en Alabama des recherches indignes sur la syphilis s’étalèrent sur 40 ans en accord avec l’université, dans le but de connaître l’évolution naturelle, donc sans traitement, de la maladie. Aucun des patients ne fut traité par la pénicilline, même après que cet antibiotique avait fait preuve, en 1940, de son efficacité. En échange de leur résignation, ils recevaient un repas par jour, et 1000 $ pour leurs funérailles à condition qu’on puisse effectuer leur autopsie.
En France, où de nombreuses recherches furent effectuées sans réelles règles, ignorant tout autant le code de Nuremberg que la déclaration d’Helsinki, il fallut attendre la fin des années 1980 et un scandale qui prit le nom d’affaire d’Amiens pour que l’opinion publique s’émeuve. Il s’agissait d’un acte invasif effectué chez un patient dans le coma, sans bien évidemment son consentement. Un avis du Conseil d’État indiqua que les essais sur l’Homme pouvaient conduire à des condamnations pour coups et blessures. Les réflexions de quelques groupes médicaux qui, d’ailleurs s’étaient emparés depuis quelques temps du sujet, firent le reste. Il devint évident qu’il fallait légiférer. La loi fut mise en chantier par Claude Huriet, médecin et sénateur centriste, et par Franck Serusclat, pharmacien et Sénateur socialiste. Elle impliquait que les recherches ne peuvent s’effectuer que sur consentement éclairé des patients. Seconde étape du rôle joué par la société, cette fois-ci à titre individuel, dans le contrôle de la recherche ou plus exactement du sujet soumis à la recherche, la recherche chez l’Homme ne pouvait être effectuée qu’avec un consentement, après une information précise de l’objet de la recherche et des risques encourus. Cette loi fut à l’origine des Comités d’Éthique médicaux. Les temps ont heureusement changé, mais l’histoire du consentement éclairé est encore récente et nous ramène à des crimes qui n’ont sans doute pas disparu.
Notes
[1] Debré, P., « Louis Pasteur », Flammarion, 1993
[2] Debré, P., « Les Révolutions de la biologie et la condition humaine », Odile Jacob, 2020